Il déchirait méticuleusement l’étiquette de sa bouteille de bière et, après avoir mis à nu cette dernière, la remplissait des morceaux de papiers ainsi obtenus. Quelques gorgées marquaient une pause dans ce travail de longue haleine et je baissais systématiquement les yeux quand il levait les siens dans ma direction. Sans doute venait-il dans ce caboulot dans l’espoir de trouver l’improbable sans y être jugé, peut être pensait-il y trouver quelque tragique anonymat ? L’idée de venir lui parler ne fit que m’effleurer ; le serveur me lança un regard complice ; et je me servis à mon tour de mon verre de bière pour masquer ma lâcheté. Sa solitude était devenue bien trop envahissante pour lui permettre de discuter avec quelqu’un et aucun de nous en ces lieux n’était de taille à se mesurer à elle. Il me rappelait certainement à ce que j’essayais de fuir à tous prix et je retins sa souffrance pendant de longues minutes. L’alcool commençait à faire son effet, le bar commençait à se remplir et les rires se firent de plus en plus nombreux. Il me semblait pourtant entendre l’écho de ses pas s’éloigner dans la rue.
/image%2F0992030%2F20140818%2Fob_b84f1c_images-paysages-multiples-street-2-bis.jpg)